Description clinique de la maladie indemnisable (octobre 2011)
Manifestations aiguës et subaiguës
I. Anémie
Définition de la maladie
L’anémie se définit comme une diminution de la quantité d’hémoglobine contenue par unité de volume de sang, en dessous de 13 g/100 ml chez l’homme et de 12 g/100 ml chez la femme, sans augmentation du volume plasmatique.
Le plomb provoque une anémie de type normochrome (ou légèrement hypochrome), normocytaire (ou légèrement microcytaire), avec augmentation du nombre de réticulocytes et présence d'hématies à granulations basophiles (HGB). Les mécanismes de l’anémie associent une diminution de la synthèse de l’hème et une fragilité membranaire entraînant une diminution de la durée de vie des globules rouges.
Diagnostic
Le diagnostic positif est évoqué sur la clinique, avec pâleur et fatigue. Il est confirmé par la biologie, avec le dosage de l’hémoglobine lors d’une numération formule sanguine.
Il existe de multiples causes d’anémie et le diagnostic étiologique peut nécessiter de nombreux examens complémentaires. Les causes les plus fréquentes sont une diminution du stock de fer de l’organisme (par saignement occulte, chez la femme) ou l'existence d'un syndrome inflammatoire.
L'anémie saturnine n'ayant que peu de spécificité, son diagnostic étiologique repose sur la notion d’exposition au plomb, confirmée par test d’exposition (plombémie augmentée), et sur le retentissement sur la synthèse de l'hème, avec augmentation de l'acide d-aminolévulinique urinaire (ALA-U) et/ou de la protoporphyrine zinc sanguine (PPZ), associée à l’absence de diminution du stock de fer de l'organisme (ferritine non diminuée). La recherche d’HGB, évocatrices mais non spécifiques du saturnisme, se fait sur lame par un technicien entraîné.
Evolution
L’anémie régresse lentement après cessation de l’exposition. Des atteintes importantes peuvent bénéficier d’un traitement chélateur.
Traitement
Il repose essentiellement sur la soustraction au risque. Dans certains cas, un traitement peut être entrepris par administration de chélateurs, soit en perfusion intraveineuse (calcitétracémate disodique ou EDTA), soit per os (acide dimercaptosuccinique ou DMSA).
Facteurs de risque
Facteurs d’exposition
Les facteurs collectifs dépendent de l’intensité et de la durée de l’exposition, ainsi que de facteurs physico-chimiques (spéciation, granulométrie des poussières …).
Facteurs individuels
Si l’hygiène individuelle est importante, des études récentes montrent l'existence d'une sensibilité biologique individuelle, mais il s'agit encore d'un domaine de recherche.
Estimation théorique du risque en fonction de l’exposition
L’anémie ne survient que pour des plombémies dépassant 40 µg/100 ml.
II. Syndrome douloureux abdominal paroxystique (coliques de plomb)
Définition de la maladie
Dans sa forme typique, il s’agit d’un syndrome douloureux abdominal aigu, à début brutal, prédominant au creux épigastrique, à irradiation diffuse et évoluant par crises sur un fond continu, associé à de la pâleur et une constipation opiniâtre, mais sans fièvre. Ce tableau s’accompagne habituellement d’une élévation de la pression artérielle. Les formes atténuées sont fréquentes, des formes atypiques sont possibles.
Les mécanismes proposés associent une action directe du plomb sur le système nerveux ou le muscle intestinal, à un effet pharmacologique de l’acide d-amino-lévulnique (ALA) sur la motricité intestinale.
Diagnostic
Le diagnostic positif est évoqué sur le tableau clinique.
Il existe de multiples causes de syndrome douloureux abdominal aigu et leur diagnostic étiologique peut nécessiter de nombreux examens complémentaires.
Bien qu’évocateur chez un salarié exposé au plomb, le diagnostic étiologique repose sur la notion d’exposition importante, confirmée par test d’exposition (plombémie augmentée) et par tests lésionnels (augmentation de l’ALA-Urinaire et/ou de la protoporphyrine zinc sanguine (PPZ)). L’effet thérapeutique rapide d’un traitement chélateur est un argument étiologique.
Evolution
Le syndrome régresse spontanément, en plusieurs heures à quelques jours, après cessation de l’exposition. Un traitement chélateur entraîne une cessation rapide des douleurs.
Traitement
Il repose sur la soustraction au risque et l’administration d’antalgiques et de chélateurs.
Facteurs de risque
Il existe vraisemblablement une sensibilité individuelle.
Estimation théorique du risque en fonction de l’exposition
Ce syndrome est une manifestation aiguë de l’intoxication chronique par le plomb et survient habituellement pour des plombémies très élevées, supérieures à 100 ou 150 µg/100 ml. Certains auteurs ont cependant décrit leur survenue pour des valeurs plus basses, mais toujours supérieures à 40 µg/100 ml.
III. Encéphalopathie aiguë
Définition de la maladie
Une encéphalopathie aiguë se définit comme une altération rapide et sévère des fonctions cérébrales supérieures, associée ou non à des troubles de conscience. Cette manifestation, historique en milieu professionnel, est la plus grave du saturnisme. Elle peut se traduire par des manifestations psychiatriques (délire, psychose), des convulsions, un coma.
Le mécanisme est vraisemblablement dû à l’action directe du plomb sur les cellules nerveuses et à une hypertension intracrânienne.
Diagnostic
Le diagnostic positif est clinique.
Il existe de multiples causes d’encéphalopathies aiguës. Le diagnostic étiologique nécessite des examens complémentaires, biologiques ou morphologiques, pour éliminer les encéphalopathies secondaires à des lésions anatomiques ou des causes métaboliques, toxiques, infectieuses ou inflammatoires.
L’encéphalopathie saturnine n’ayant pas de spécificité, son diagnostic étiologique repose sur la notion d’exposition aiguë ou d’imprégnation chronique, confirmée par test d’exposition (plombémie augmentée) et par tests lésionnels (augmentation de l'acide-aminolévulinique urinaire (ALA-U) et/ou de la protoporphyrine zinc sanguine (PPZ)). Une évaluation du stock de plomb mobilisable dans l’organisme, par plomburie provoquée, peut être utile.
Evolution
L’évolution varie en fonction de l’âge et de l’état général du sujet. Il s’agit d’une affection grave, de pronostic sévère avec possibilité de séquelles définitives du type altération des fonctions supérieures, détérioration du psychisme, épilepsie, voire possibilité de décès.
Traitement
Il repose sur la soustraction du risque et un traitement chélateur.
Facteurs de risque
Il existe une sensibilité individuelle.
Estimation théorique du risque en fonction de l’exposition
L’encéphalopathie aiguë ne survient, chez l’adulte, que pour des plombémies élevées dépassant 80 à 100 µg/100 ml. Il faut noter que la plombémie, qui ne traduit que l’exposition récente, ne reflète que très partiellement la quantité de plomb accumulée dans les cellules cérébrales.
Manifestations chroniques
IV. Neuropathies périphériques et/ou syndrome de sclérose latérale amyotrophique (SLA)
Définition de la maladie
Une neuropathie périphérique est un terme générique donné à toute pathologie du système nerveux périphérique, quelle qu’en soit l’étiologie et la symptomatologie. Le plomb est responsable d’une polyneuropathie à prédominance motrice.
Une polyneuropathie motrice est une atteinte des nerfs moteurs, bilatérale, se traduisant par une diminution de la force musculaire, le plus souvent accompagnée, voire précédée, d’amyotrophie.
La forme classique, mais historique en milieu professionnel, se traduit par une paralysie des muscles extenseurs des extrémités des membres supérieurs, en particulier par atteinte du territoire radial entraînant une faiblesse des 2ème, 3ème et 4ème doigts de la main. Les formes actuelles sont faiblement symptomatiques avec paresthésies, ou infracliniques avec, à l’électromyogramme (EMG), ralentissement des vitesses de conduction motrice débutant aux membres supérieurs, puis touchant ensuite les membres inférieurs.
Le syndrome de sclérose latérale amyotrophique (SLA) regroupe d’une part la SLA «idiopathique» ou maladie de Charcot, maladie rare caractérisée par une dégénérescence du faisceau pyramidal et des cellules motrices de la corne antérieure de la moelle épinière et du tronc cérébral, et d’autre part des syndromes cliniquement proches, relevant d’une cause identifiée (immunologique, paranéoplasique, toxique). Il associe, de façon variable mais habituellement symétrique, amyotrophie, fasciculations, déficit musculaire, hyperréflexie ostéo-tendineuse, troubles de la déglutition et de l’élocution. Quelques cas de syndrome de SLA ont été observés après exposition à des métaux lourds, dont le plomb.
Diagnostic
Le diagnostic positif de neuropathie, comme du syndrome de SLA, repose sur la clinique pour les formes symptomatiques et nécessite un EMG, seul examen à même de dépister les formes infracliniques.
Il existe de multiples causes de neuropathies périphériques et le diagnostic étiologique peut nécessiter de nombreux examens complémentaires, orientés par la forme clinique et l’EMG.
La neuropathie saturnine n’est pas spécifique, même si elle touche classiquement de façon plus précoce les membres supérieurs que les membres inférieurs, et les nerfs moteurs que les nerfs sensitifs. Son diagnostic étiologique repose sur la notion d’exposition au plomb d’une importance cumulée certaine, confirmée par examens biologiques (tests d’exposition, tests lésionnels, plomb mobilisable).
Evolution
La neuropathie est habituellement réversible, de façon lente, au stade précoce. En cas d’atteinte sévère, la guérison peut être incomplète. Il n’y a en principe pas d’aggravation après l’arrêt de l’exposition au risque. Les atteintes sévères peuvent bénéficier d’un traitement chélateur.
Le syndrome de SLA dû au plomb se différencierait de la SLA idiopathique par une stabilisation ou une régression après cessation de l’exposition.
Traitement
Il repose essentiellement sur la soustraction au risque. Dans certains cas, sévères, un traitement chélateur peut être entrepris.
Facteurs de risque
Il existe une sensibilité individuelle.
Estimation théorique du risque en fonction de l’exposition
Les paralysies ne s’observent que pour des plombémies très élevées, dépassant 120 µg/100 ml. Une diminution des vitesses de conduction nerveuse est observée pour des valeurs de plombémie supérieures ou égales à 30 µg/100 ml. La diminution de la vitesse de conduction nerveuse est mieux corrélée avec le plomb osseux ou l’exposition cumulée qu’avec la plombémie.
V. Troubles neurologiques organiques à type d'altération des fonctions cognitives
Définition de la maladie
Les fonctions cognitives du système nerveux central se définissent comme les capacités de compréhension, d’expression, d'analyse, d'évaluation, de synthèse de décision et d’exécution, acquises au cours de l'existence. Le terme trouble neurologique organique est un terme vague, mais mentionne le caractère pathologique de ces altérations, par opposition à celles du vieillissement et des troubles neurologiques d’origine psychiatrique.
Le plomb provoque au niveau du système nerveux central des manifestations chroniques à type de diminution des capacités intellectuelles, troubles de la mémoire et de l'humeur, céphalées, troubles du sommeil, syndrome dépressif. L'intégration visio-motrice serait particulièrement affectée.
Diagnostic
Les fonctions cognitives sont appréciées par des tests psychotechniques et par des questionnaires portant sur des symptômes subjectifs.
Il existe de nombreuses causes de détérioration cérébrale, dont en particulier l'alcoolisme chronique. Le diagnostic d'alcoolisme chronique repose sur l'interrogatoire, l'examen clinique avec recherche de tremblements, d'une hépatomégalie et des examens biologiques avec perturbation du bilan hépatique, en particulier élévation des transaminases et de la gamma-glutamyl-transpeptidase (g-GT), et augmentation du volume des globules rouges. Ces tests objectifs ne sont cependant pas, pris isolément, spécifiques de la maladie alcoolique.
A l'échelon individuel, il est difficile d'établir une relation de cause à effet entre imprégnation saturnine et manifestations infracliniques. Les troubles neurologiques saturnins n’ayant aucune spécificité, leur diagnostic étiologique repose sur la notion d’exposition au plomb d’une importance cumulée certaine, confirmée par examens biologiques (tests d’exposition, tests lésionnels, plomb mobilisable).
Evolution
Les troubles neurologiques semblent régresser lorsque l'exposition est réduite.
Traitement
Il repose essentiellement sur la soustraction au risque. Dans certains cas, un traitement peut être entrepris par administration de chélateurs.
Estimation théorique du risque en fonction de l'exposition
Chez l'adulte, les perturbations comportementales et psychomotrices n'ont été décrites que pour des plombémies dépassant 50 µg/100 ml.
VI. Insuffisance rénale chronique
Définition de la maladie
L’insuffisance rénale chronique est une détérioration progressive de la valeur fonctionnelle du rein.
Le plomb provoque de façon précoce une atteinte des tubules proximaux. Lors d’une exposition prolongée, il apparaît une atteinte glomérulaire tardive, associée à une hypertension artérielle et une hyperuricémie pouvant entraîner des crises de goutte. Les formes symptomatiques sont historiques en milieu professionnel.
Diagnostic
Le diagnostic positif de l’insuffisance rénale chronique est biologique (créatinine sanguine, clairances …), car les symptômes (œdèmes) sont tardifs.
Il existe de multiples causes d’insuffisance rénale et le diagnostic étiologique nécessite de nombreux examens complémentaires biologiques ou morphologiques.
L’insuffisance rénale chronique saturnine n’ayant pas de spécificité, son diagnostic étiologique repose sur la notion d’exposition au plomb d’une importance cumulée certaine, confirmée par examens biologiques (tests d’exposition, tests lésionnels).
Evolution
La réversibilité des altérations rénales dues au plomb est mal évaluée.
Traitement
Il repose essentiellement sur la soustraction au risque.
Estimation théorique du risque en fonction de l’exposition
Les altérations de la fonction glomérulaire ne surviennent que pour des plombémies dépassant 60 à 70 µg/100 ml. Les atteintes tubulaires peuvent être mises en évidence pour des niveaux d’exposition inférieurs, sans que leur signification pathologique ne soit établie.
VII. Syndrome biologique
Définition
L’acide d-aminolévulinique (ALA) et les protoporphyrines sont des molécules intermédiaires de la synthèse de l’hème dans l’érythrocyte. Le plomb entraîne leur accumulation par inhibition enzymatique. Leur mesure traduit le retentissement du plomb sur la fabrication des globules rouges.
L’ALA est éliminé dans les urines. Un taux urinaire supérieur à 15 mg/g de créatinine est pathologique. Son élévation est très évocatrice, mais non absolument spécifique, d’une exposition au plomb. En particulier, il est augmenté lors de certaines maladies métaboliques rares (porphyries).
La protoporphyrine habituellement dosée est celle complexée au zinc (PPZ), qui s’accumulent dans les globules rouges. Un taux sanguin supérieur à 20 µg/g d’hémoglobine est pathologique. Son élévation est évocatrice, mais non spécifique, d’une exposition au plomb. En particulier, elle est augmentée en cas d’anémie ferriprive (non due au plomb).
La plombémie est le taux de plomb dans le sang. Son élévation est spécifique d’une exposition récente ou en cours, mais une valeur normale n’exclut pas une exposition ancienne, ayant cessé depuis plusieurs années. Les laboratoires la réalisant doivent être agréés par le ministère du Travail.
Evolution
Les cinétiques sont différentes. Après cessation de l’exposition, l’ALA-U diminue assez rapidement en quelques jours à quelques semaines, alors que la PPZ diminue lentement, en plusieurs mois.
La cinétique du plomb dans le sang est complexe et traduit un équilibre entre les apports et les stocks, tissulaires et osseux.
Estimation théorique du risque en fonction de l’exposition
L’élévation du taux d’ALA-U ne survient que pour une plombémie supérieure à 40 µg/100 ml. L’élévation du taux de PPZ ne survient que pour une plombémie supérieure à 30 µg/100 ml.