Toxicité aiguë [18]
Le tétrachlorométhane provoque une dépression du système nerveux central et des atteintes hépatiques. Il est légèrement irritant pour les yeux, modérément irritant pour la peau et possède un léger potentiel sensibilisant cutané.
La DL50 par voie orale est de 2900 mg/kg chez le rat, 12800 mg/kg chez la souris, 6380 mg/kg chez le lapin et 3680 mg/kg chez le hamster. Par voie cutanée, elle est supérieure à 5000 mg/kg chez le rat.
La CL50 a été estimée chez le rat à 7900 ppm pour une exposition de 4 heures et chez la souris à 13435 ppm pour une exposition de 4 heures.
Les principaux effets sont rapportés au niveau du système nerveux central, du foie et des muqueuses ; leur sévérité augmente avec la dose. Dans les intoxications subaiguës, les troubles de conscience et les signes d’irritation sont discrets ou absents.
Par voie orale, les premiers effets hépatiques apparaissent dès 10 mg/kg (dose unique) et se caractérisent par une augmentation des niveaux enzymatiques chez le rat ; par la suite, une vacuolisation et une nécrose centrolubulaires se développent. Chez la souris, la nécrose centrolobulaire est observée dès 10 mg/kg (dose unique). Des effets immunitaires sont aussi détectés et se traduisent par une immunosuppression (souris, 500 mg/kg pc/j, 1 fois/jour pendant 7 jours) et une diminution de la résistance aux infections (souris, 50 mg/kg pc/j, 1 fois/jour pendant 14 jours). L’exposition à 4000 mg/kg de tétrachlorométhane est à l’origine, chez le rat, d’atélectasie, d’hémorragies et d’œdèmes aigus pulmonaires, complication fréquente de l’intoxication en lien avec les lésions directes précoces de la paroi alvéolaire (conséquence de son élimination dans l’air expiré) [27].
Par voie cutanée, des foyers nécrotiques sont observés au niveau du foie chez le cochon d’inde, suite à l’application de 513 mg/cm² de tétrachlorométhane pendant 16 heures sous pansement occlusif [28].
Par inhalation, des expositions comprises entre 10 et 100 ppm (rat, 6-7 h/j, 2 semaines) sont à l’origine d’effets hépatiques légers à modérés (augmentation du poids du foie, dégénérescence graisseuse) [29]. Les très fortes concentrations de tétrachlorométhane (rat, 4800 ppm pendant 4 heures) entrainent une nécrose centrolobulaire dans les 24 heures suivant l’exposition [30, 31]. Lorsque ces expositions se poursuivent (2 fois/semaine), une prolifération hépatocellulaire remplace les zones nécrotiques 2 à 3 semaines après, avant le développement d’une fibrose et éventuellement d’une cirrhose [30]. Une cirrhose, associée à une dégénérescence graisseuse, apparait chez les rats exposés à 200 ou 400 ppm (7 h/j, 5 j/sem pendant 2 sem) [29].
La dépression du système nerveux central s’observe aux fortes concentrations. Chez le rat, une somnolence voire un étourdissement peuvent survenir à 4600 ppm (jusqu’à 8 heures), une ataxie et perte de connaissance (à 12000 ppm) avant le décès par arrêt respiratoire (à 19000 ppm) [29].
Les effets toxiques du tétrachlorométhane sont modifiés par de nombreux facteurs : augmentés par les alcools et diminués par le glutathion notamment.
Irritation, sensibilisation
Le tétrachlorométhane est faiblement irritant pour les yeux et modérément irritant pour la peau du lapin. Un contact prolongé avec le liquide peut entrainer des changements dégénératifs de l’épiderme.
L’exposition à des vapeurs peut irriter les voies respiratoires supérieures. Un léger potentiel sensibilisant est mis en évidence dans un essai de stimulation des ganglions lymphatiques chez la souris [3].
Toxicité subchronique, chronique [18]
Les expositions répétées sont principalement à l'origine d’atteintes hépatiques (cirrhose, stéatose, cytolyse). On observe, dans certains cas, des atteintes glomérulaires rénales et hématologiques.
Diverses espèces animales ont été exposées à différentes concentrations, pendant 7 h/j et 5 j/semaine. À 400 ppm, plus de la moitié des animaux sont morts au 173ème jour de l’expérimentation ; tous les survivants ont une atteinte hépatique sévère (stéatose, cytolyse centrolobulaire, cirrhose) et une tubulopathie rénale discrète. À 200 ppm, les lésions constatées sont semblables, mais moins graves ; la mortalité n’est élevée que chez les cobayes et les rats. L’exposition à 100 ppm est cliniquement bien tolérée par tous les animaux, mais les atteintes hépatiques (cirrhose) et rénales sont toujours décelables histologiquement. À 50 ppm, on ne constate plus qu’une stéatose hépatique modérée chez les cobayes, les lapins et les rats. À 25 ppm, chez les mêmes espèces, les lésions hépatiques sont encore plus discrètes. À 10 ppm, les rats, les cobayes et la souris ont encore une stéatose hépatique minime. À 5 ppm, on ne note plus d’anomalie [29].
Plus récemment, des rats et des souris ont été exposés au tétrachlorométhane (0-10-30-90-270-810 ppm, 6 h/j, 5 j/sem, pendant 13 semaines). Dès 10 ppm, les analyses histologiques montrent la présence de gouttelettes lipidiques dans les hépatocytes (rats mâles et femelles, souris mâles), de globules cytoplasmiques (souris) et un relargage d’enzymes de cytolyse hépatique. La fibrose et la cirrhose ne sont observées que chez le rat à 270 ppm. Un phénomène de collapsus hépatique avec nécrose est rapporté chez la souris, à partir de 30 ppm. Des signes de néphrotoxicité (augmentation du poids des reins dès 10 ppm chez les rats mâles ; vacuolisation au niveau des tubules à partir de 270 ppm chez les rats femelles) et d’hématotoxicité (anémie chez les rats dès 90 ppm, et chez les souris femelles à 270 et 810 ppm) sont aussi mises en évidence [18].
Une diminution des niveaux d’hémoglobine et d’hématocrite est observée chez des rats femelles exposées pendant 2 ans, dès 25 ppm (6 h/j, 5 j/sem) ; ces effets sont associés à des atteintes spléniques (dépôt d’hémosidérine dès 5 ppm chez les rats mâles) et à une hématopoïèse extramédullaire (à partir de 25 ppm, chez la souris).
Des rats et des souris ont été exposés à 5 et 25 ppm de vapeurs de tétrachlorométhane pendant 2 ans (6 h/j, 5 j/sem). Aucun effet hépatique significatif n’est rapporté à 5 ppm ; à 25 ppm, les atteintes se caractérisent par une augmentation du poids du foie, une hausse des niveaux sériques en enzymes, un dépôt de céroïde (pigment jaunâtre), une fibrose, une cirrhose et une dégénérescence graisseuse. Au niveau rénal, une protéinurie apparait dès 5 ppm (rats mâles et femelles) ; à 25 ppm, les animaux développent des néphropathies progressives chroniques et leur taux d’urée sanguine augmente. Le taux de survie des animaux exposés à 125 ppm est très faible[32].
Des atteintes neurologiques périphériques sont décrites chez plusieurs espèces animales ; toutefois, la pureté des solvants utilisés par les expérimentateurs n’est pas précisée, ce qui ne permet pas d’imputer de manière certaine ces neuropathies au tétrachlorométhane. Des analyses histologiques ont révélé des lésions dégénératives au niveau des nerfs sciatique et optique à 200 et 400 ppm, et chez quelques rats à 50 ppm. Toutefois, ces lésions ne semblent pas assez sévères pour avoir des conséquences sur la démarche ou la vision.
Par voie orale, les effets hépatotoxiques du tétrachlorométhane ont été largement étudiés chez l’animal : diminution du réticulum endoplasmique lisse et rugueux et de l’activité des enzymes associées, inhibition de la synthèse protéique, perturbation de la sécrétion de triglycérides avec accumulation de graisses, nécrose centrolobulaire, et éventuellement fibrose et cirrhose. Si les effets sont variés, les premiers effets apparaissent à partir de 10 mg/kg pc/j (12 à 13 semaines d’exposition).
Effets génotoxiques [23]
À partir des données disponibles, le tétrachlorométhane n’est pas considéré comme génotoxique.
Dans la grande majorité des études disponibles, le tétrachlorométhane n’induit pas de mutation ponctuelle au test d'Ames sur Escherichia coli, avec ou sans activation métabolique. En revanche, un effet mutagène a été mis en évidence à très fortes doses chez Saccharomyces cerevisiae, en présence de cytotoxicité.
Il n’entraîne pas d’aberration chromosomique dans les hépatocytes de rat en culture et n’augmente pas la synthèse de l’ADN dans les hépatocytes de rat exposés in vivo. De même, des résultats négatifs sont rapportés dans les tests des micronoyaux.
Effets cancérogènes [33]
Le tétrachlorométhane est un cancérogène hépatique dans diverses espèces animales.
La cancérogénicité du tétrachlorométhane a fait l’objet de très nombreuses études. Tous les essais sur le rat, la souris et d’autres espèces, par diverses voies d’exposition, mettent en évidence un effet cancérogène hépatique (hépatocarcinome) associé souvent à un processus de nécrose cellulaire. Chez le rat femelle, des injections sous-cutanées de tétrachlorométhane entrainent le développement de fibroadénomes et d’adénocarcinomes de la glande mammaire.
Le tétrachlorométhane est classé cancérogène catégorie 2 par l’Union européenne et dans le groupe 2B par le CIRC [34]. La classification du CIRC est basée sur des preuves insuffisantes chez l’Homme et suffisantes chez l’animal : les organes cibles sont le foie (rat, souris et hamster) et les glandes surrénales (phéochromocytome chez la souris), par voie orale et par inhalation [18, 33].
Effets sur la reproduction [33]
Chez les rongeurs, des effets sur les organes reproducteurs ont été observés, ainsi que des effets fœtotoxiques.
Fertilité
La fertilité de rats des 2 sexes recevant pendant 2 ans une alimentation contenant 15 mg/kg pc/j n’est pas modifiée [35].
L’injection intrapéritonéale de 3 ml/kg/j pendant 15 jours, entraîne chez le rat mâle une atrophie des testicules, une dégénérescence des tubes séminifères et une perturbation de la spermatogenèse et, chez le rat femelle, une diminution du poids de l’utérus et des ovaires et des anomalies hormonales, avec suppression des œstrus et baisse de l’activité gonadatrophine hypophysaire [36 à 38].
Par inhalation, une étude ancienne rapporte une diminution de la fertilité chez des rats exposés à 200 ppm et plus (8 h/j, 5 j/sem, 10,5 mois soit 3 générations) [18]. Pour ces mêmes concentrations, une dégénérescence de l’épithélium germinal testiculaire est observée chez des rats exposés pendant 192 jours (7 h/j, 5 j/sem) [29]. Chez la souris, le poids des testicules est augmenté à 25 ppm (6 h/j, 5 j/sem, 2 ans) [18].
Développement
Par voie orale, la période de vulnérabilité se situe entre le 6e et le 10e jour de gestation (GD). Des rates gestantes ont été exposées à une dose unique de 150 mg/kg de tétrachlorométhane, au 6e, 7e, 8e, 10e ou 12e jour de gestation : les incidences de perte complète de portées ont varié de 36 à 72 % de GD 6 à 10 (maximum au 8e jour) et 0 % au 12e jour (4 % pour les témoins) [29]. Des rates gestantes ont été exposées à 25 ou 50 mg/kg pc/j, de GD6 à GD15, par gavage. Aucune toxicité maternelle ou développementale n’a été observée à 25 mg/kg pc/j ; par contre, à 50 mg/kg pc/j, des signes de toxicité (piloérection et baisse du poids maternel) et la perte totale de portées a été rapportée [40].
L’administration intrapéritonéale ou sous-cutanée d’une dose unique de 150 mg en fin de gestation chez la souris provoque une importante augmentation de la mortalité fœtale.
Par inhalation, l’exposition de rates du 6e au 15e jour de la gestation (300 ou 1000 ppm, 7 h/j) est responsable d’effets foetotoxiques (œdème sous-cutané à 300 ppm ; anomalies sternales à 1000 ppm) ; une diminution du poids des fœtus et de la longueur vertex-coccyx est observée, en lien avec la dose [41]. Chez les mères, une diminution du poids corporel et des atteintes hépatiques sont rapportées, mais sans conséquence sur la conception, le nombre d’implantations et de résorptions, ou la taille des portées.