Toxicité aiguë
L'hydrazine et son hydrate sont toxiques quelle que soit la voie d'administration. Le principal organe cible est le système nerveux central mais des atteintes hépatique, rénale ou hématologique sont aussi observées. L’hydrazine est un irritant cutané et respiratoire, et un sensibilisant cutané.
Par voie orale, la DL50 de l'hydrazine est de 60 mg/kg chez la souris ou le rat. Par voie percutanée, elle est de 93 mg/kg chez le lapin, de 190 mg/kg chez le cobaye [28]. Par inhalation, après une exposition de 4 heures, la CL50 est de 250 ppm chez la souris, de 570 ppm chez le rat [29] ; après une exposition d'une heure, elle est de 3192 ppm chez le rat [30].
Concernant l'hydrate d'hydrazine, chez le rat, après une heure d'exposition par inhalation, la plus faible CL50 rapportée est de 3400 mg/m3 [31]. Par voie orale, une DL50 de 55 mg/kg pc a été déterminée chez le lapin [32].
Quelles que soient l'espèce et la voie d'administration étudiées, les manifestations observées traduisent principalement une action sur le système nerveux central (agitation ou inactivité, convulsions surtout cloniques, difficultés respiratoires) [33]. Les chiens, exposés à des doses sublétales par voie intraveineuse, ne présentent pas de convulsion mais une augmentation de l'activité neuromusculaire, une hypersalivation, des diarrhées, des vomissements et une hyperventilation [33]. Sont aussi observées des atteintes rénale (diminution du taux de filtration glomérulaire, présence de mégamitochondries), hépatique (augmentation des activités enzymatiques sériques, présence de mégamitochondries) et hématologique (hémolyse, anémie) ; l'examen histopathologique montre une dégénérescence graisseuse des reins et du foie, en lien notamment avec la présence de mégamitochondries[32].
Dans l'intoxication par inhalation, on note en plus une irritation des yeux et du tractus respiratoire ; les poumons sont congestifs et sont le siège de foyers œdémateux et hémorragiques, ainsi que d'atélectasie [33].
Dans le cas de l'application cutanée comme dans celui par voie intraveineuse, une hypoglycémie sévère et une acidose lactique ont été mises en évidence chez le chien [32].
Irritation, sensibilisation
L'hydrazine est à l'origine d'une irritation cutanée et respiratoire [33, 34]. Localement, la réponse cutanée varie d'une irritation légère à un érythème maculopapulaire, avec œdème transitoire et décoloration persistante de la peau [36]. Sur l'œil du lapin comme du rat, les solutions contenant 25 % ou plus d'hydrazine peuvent occasionner des lésions sévères et irréversibles (conjonctivite, érythème des paupières, opacités cornéennes persistantes).
Toxicité subchronique, chronique
Dans l'intoxication chronique par l'hydrazine, le phénomène majeur est l'hépatotoxicité qui se manifeste quelle que soit la voie d'intoxication. Des effets rénaux, neurologiques et pulmonaires sont aussi observés.
À la suite d'une exposition continue pendant 6 mois, des effets hépatique, hématologique et neurologique sont observés [37]. Ainsi, les souris, les chiens et les singes inhalant 0,2 ppm d'hydrazine en continu pendant 6 mois présentent une dégénérescence graisseuse du foie. Parmi les animaux exposés à 1 ppm, seuls les chiens montrent une atteinte du système nerveux central (convulsions toniques) et du sang (diminution des taux d'hématocrite, d'hémoglobine et de globules rouges). À la suite d'une exposition pendant un an, 5 jours par semaine, 6 heures par jour, l'atteinte hépatique est aussi présente : anomalies cellulaires, augmentation du taux de transaminases sériques, prolifération des voies biliaires, hémosidérose et amylose sont observées chez les rats, les chiens et les hamsters exposés à 0,25 et 1 ppm [38]. Aux mêmes concentrations, une amylose et une minéralisation rénales sont rapportées, seulement chez les hamsters. Aux plus fortes concentrations (5 ppm), apparaissent chez toutes les espèces étudiées des atteintes pulmonaires (inflammation, hyperplasie et métaplasie au niveau de la partie supérieure de l'arbre respiratoire) [38].
Par voie orale, des souris exposées à 1,1 mg/kg pc d'hydrazine pendant 25 semaines, présentent une dégénérescence des glandes surrénales ; aucun effet n'est rapporté chez les hamsters à ce niveau [39]. À partir de 4,9 mg/kg pc, une atteinte hépatique est observée seulement chez les hamsters, avec cirrhose atrophique et prolifération des cellules réticuloendothéliales, et prolifération des voies biliaires. Chez des souris et des rats recevant pendant 10 jours une nourriture contenant 10 mg/kg d'hydrazine, les examens histopathologiques révèlent au niveau du foie l'existence de mégamitochondries, des vacuolisations graisseuses et la prolifération locale du réticulum endoplasmique [40].
Par voie cutanée, seules des convulsions sont observées chez des chiens exposés à une dose unique de 96 à 480 mg/kg d'hydrazine [22].
Effets génotoxiques [17]
La génotoxicité de l’hydrazine est observée in vitro et in vivo.
L'hydrazine induit des mutations géniques et/ou des aberrations chromosomiques dans un grand nombre de tests in vitro sur bactéries (5 souches de S. typhimurium, E. coli, H. influenzae), levures (S. cerevisiae), phages, plantes supérieures, Drosophila melanogaster, cellules de mammifères ; le plus souvent l'action mutagène ne nécessite pas une activation métabolique préalable. L'hydrazine induit in vitro des transformations cellulaires et une synthèse non programmée d'ADN (fibroblastes humains), des micronoyaux (cellules de hamsters chinois, sans activation métabolique) ainsi que des cassures des brins d'ADN (hépatocytes de rats)[31]. De même, les tests in vitro réalisés avec l'hydrate d'hydrazine s'avèrent en majorité positifs, avec et sans activation métabolique : mutations géniques, aberrations chromosomiques (cellules de hamster chinois) ou synthèse non programmée de l'ADN (hépatocytes de souris) [31].
In vivo, les tests des comètes réalisés chez la souris s'avèrent positifs pour de nombreux organes (foie, poumon, rein, cerveau, moelle osseuse, muqueuses), à la suite d'une exposition par voie orale (100 et 150 mg/kg pc, dose unique), par intubation gastrique (30 mg/kg pc, dose unique) ou par injection intrapéritonéale (100 mg/kg pc, dose unique)[41, 42]. Des adduits à l'ADN sont observés chez des rats ayant reçu de 0,01 à 10 mg/kg pc d'hydrazine en dose unique, par gavage, avec formation de N7- méthylguanine et O6-méthylguanine au niveau de l'ADN hépatique [43]. La demi-vie de ces bases méthylées générées est courte : 13 à 17 heures pour la O-méthylguanine, 40 à 50 heures pour la N-méthylguanine [32].
Mutations géniques et dommages à l'ADN sont aussi rapportés avec l'hydrate d'hydrazine[31].
En revanche, le produit n'induit ni mutation dominante létale, ni micronoyau dans les cellules de moelle osseuse de souris traitées in vivo.
Effets cancérogènes
L’hydrazine est cancérogène, quelle que soit la voie d’exposition considérée. Par voie orale, des tumeurs peuvent apparaître dans plusieurs organes (poumons, foie, glandes mammaires). Par inhalation, les tumeurs sont principalement localisées au niveau du tractus respiratoire, mais aussi au niveau de la thyroïde.
L'inhalation d'hydrazine accroît l'incidence des tumeurs nasales et des bronches, chez des rats des 2 sexes (tumeurs épithéliales bénignes, mais aussi carcinomes muco-épidermiques et papillomes), et des carcinomes de la thyroïde chez les mâles, à la suite d'une exposition 6 heures/jour, 5 jours/semaine, pendant 1 an, à 1 et 5 ppm[37]. Une exposition intermittente d'une heure par semaine pendant 10 semaines est à l'origine de métaplasie, d'hyperplasie et de néoplasie des cavités nasales, chez les rats et hamsters exposés à 750 ppm. L'incidence de ces lésions est toutefois relativement faible (aucune lésion proliférative n'est constatée dans le groupe témoin) [44].
Par voie orale, une augmentation de l'incidence des tumeurs pulmonaires a été observée chez des souris mâle et femelle exposées à 1,87 mg/kg pc/j d'hydrazine pendant 2 ans [45 à 47]. Administrée à 50 ppm dans l'eau de boisson pendant toute la vie des animaux, l'hydrazine ne montre d'effet cancérogène qu'à la dose moyenne calculée de 3 mg/kg pc/j, qui est nettement toxique ; cet effet se traduit par l'apparition de tumeurs hépatiques, en majorité bénignes [48]. Chez le hamster, l'exposition à 8,3 mg/kg/j d'hydrazine augmente l'incidence des tumeurs du foie et des reins [49]. Le potentiel cancérogène de l'hydrazine a de plus été mis en évidence dans plusieurs études subchroniques [27]. Une augmentation de l'incidence des tumeurs du poumon, du foie et des glandes mammaires a été observée chez des souris exposées de 0,46 à 16,7 mg/kg pc/j d'hydrazine, pendant 24-48 semaines.
Aucune étude n'est disponible par voie cutanée.
Effets sur la reproduction
Très peu d’études traitent des effets de l’hydrazine sur la fertilité mais elles suggèrent la présence d’effets à la suite d’une exposition par inhalation (atrophie des organes reproducteurs, aspermie). Concernant la toxicité pour le développement, les effets varient en fonction de la voie d’exposition. Par voie orale, une augmentation du nombre de résorptions est observée mais à des doses toxiques pour les mères. A la suite d’une exposition par inhalation, des malformations fœtales sont rapportées. Résorptions fœtales, diminution du nombre et de la taille des fœtus, et malformations sont observées à la suite d’expositions par voies cutanée, sous-cutanée ou intrapéritonéale.
Fertilité
À la suite d'une exposition à 1 ou 5 ppm d'hydrazine, 6 heures/jour, 5 jours/semaine, pendant un an, les rats femelles exposés à 1 ppm présentent une atrophie des ovaires ainsi qu'une inflammation de l'endomètre et des trompes de Fallope. Chez les hamsters mâles exposés à la même concentration, une atrophie des testicules est rapportée ; à la plus forte concentration, la production de sperme est absente[38].
Par voie orale, aucune modification histologique au niveau des ovaires de souris ou hamsters, exposés respectivement à 9,3 ou 5,3 mg/kg/j d'hydrazine, pendant 15 - 25 semaines, n'est rapportée [39]. Toutefois, l'absence d'évaluation des fonctions reproductrices limite l'interprétation de ces résultats.
Développement
À la suite d'une exposition à une dose unique de 166 mg/kg d'hydrazine, administrée à des hamsters femelles au 12e jour de gestation, aucun effet sur le développement n'est rapporté [50]. Une augmentation du nombre de résorptions est observée chez des rates exposées par gavage à 18 mg/kg pc/j d'hydrate d'hydrazine, deux semaines avant l'accouplement, toute la période de gestation et jusqu'au 3e jour de lactation (soit 39 jours) [31]. Toutefois, une toxicité parentale (aucune précision donnée sur sa nature) est rapportée par les auteurs à partir de 6 mg/kg pc/j, concomitante à une réduction du poids des fœtus et de l'indice de viabilité des nouveau-nés au 4e jour de lactation.
Le produit est fœtotoxique chez la rate par voie cutanée, sous-cutanée ou intrapéritonéale. L'application unique de 50 mg/kg pc d'hydrazine sur la peau de rates gravides, au 9e jour de gestation, entraîne une résorption fœtale totale chez 10 des 12 femelles exposées[51]. À la dose de 5 mg/kg, les femelles présentent une absence de gain de poids et une nécrolyse épidermique au niveau de la zone d'application, 24 heures après le traitement ; aucune anomalie n'est rapportée concernant l'implantation, le poids des fœtus ou la présence de malformation. L'application de 8 mg/kg par jour d'hydrazine (monochlorure d'hydrazine), par voie sous-cutanée, du 11e au 20e jour de gestation, provoque une diminution du nombre et de la taille des fœtus, apparaissant pâles et avec un œdème généralisé ; chez les nouveau-nés, une mortalité périnatale de 100 % est rapportée [52]. Des résultats semblables sont obtenus chez le rat par voie intrapéritonéale.
La dose de 10 mg/kg par jour administrée par voie intrapéritonéale, du 7e au 9e jour de gestation, est sans effet sur le nombre d'implantations mais augmente le nombre de résorptions et accroît de façon significative l'incidence des anomalies fœtales (côtes surnuméraires et fusionnées, retard dans l'ossification, hydronéphrose, dilatation des ventricules cérébraux) [51]. Des effets tératogènes ont aussi été montrés chez la souris : à la suite d'une exposition à 12 et 20 mg/kg pc/j d'hydrazine entre le 6e et le 9e jour de gestation, le nombre de portées présentant des anomalies (exencéphalie, hydronéphrose et côtes surnuméraires) augmente avec la dose. Pour les doses les plus fortes, l'embryotoxicité est évidente [53].
L'exposition de rates gestantes à une atmosphère contenant 0,7 à 5 ppm d'hydrazine entraîne des malformations fœtales ; la sensibilité est maximale au 10e jour de gestation [32].