Pathologie - Toxicologie
Les effets toxicologiques des solvants aliphatiques C9-C20 désaromatisés (< 2 % aromatiques) sont difficiles à appréhender car cette famille regroupe des mélanges d’un grand nombre de substances chimiques ; le pourcentage de chaque composé et leurs différentes propriétés physico-chimiques intrinsèques affectent fortement la toxicocinétique et la toxicologie.
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Toxicocinétique - Métabolisme [15, 16]
Les solvants aliphatiques en C9-C20 désaromatisés sont principalement absorbés par voie inhalatoire. Une fois absorbés, ils se distribuent préférentiellement dans les tissus riches en lipides avant d’être métabolisés dans le foie puis éliminés dans l’air expiré ou dans les urines.
Chez l'animal
Absorption
Par voie respiratoire, ces composés sont facilement absorbés ; leur absorption dépend de plusieurs facteurs comme la concentration dans l’air inspiré, le coefficient de partage sang : air, la ventilation alvéolaire et le débit ventilatoire. Leur absorption diminue avec le nombre d’atomes de carbone : les composés en C9-C11 sont plus facilement absorbés que ceux en C12-C13. L’absorption des composés possédant un nombre d’atomes de carbone supérieur à 12 est probablement limitée en raison de leur faible pression de vapeur.
Par voie orale, leur absorption est inversement proportionnelle au nombre d’atomes de carbone dans la molécule [15]. Ainsi, il a été estimé une absorption comprise entre 61 et 81 % pour les solvants en C9-C14, de 50 % pour les solvants en C14-C19, et de 37 % pour les solvants en C20.
L’absorption percutanée des alcanes en C5 à C12 est faible et diminue avec le nombre d'atomes de carbone. Il est donc raisonnable de supposer que l’absorption des composés possédant plus de 12 atomes de carbone sera encore plus faible [15]. Un taux d’absorption de 0,18 % de la dose déposée a été mesuré in vitro pour l’hexadécane [16].
Chez des volontaires humains, l’absorption percutanée de composés en C9-C14 est très faible, comprise entre 0,01 % et 0,1 % par heure [16].
Distribution
Après une exposition par voie orale ou respiratoire, les solvants aliphatiques en C6-C20 se distribuent préférentiellement dans les tissus adipeux, le cerveau, le foie et les reins, quelle que soit leur structure [15].
Métabolisme
Les solvants aliphatiques en C9 à C20 sont métabolisés en alcools puis en acides gras (acides carboxyliques à chaîne aliphatique) de même longueur de chaîne par (ω-)oxydation ; les acides gras obtenus peuvent alors être incorporés dans les lipides ou suivre la voie normale de dégradation des acides gras.
Excrétion
Les solvants aliphatiques en C9 à C20 sont éliminés dans l'air expiré, sous forme métabolisée (CO2), dans les fèces sous forme inchangée et dans les urines, sous forme métabolisée, les proportions respectives variant en fonction de la longueur de la chaine carbonée. La majorité de l’élimination se produit dans les 24 heures suivant l’exposition.
Suite à l’administration de 14C-heptadécane à des rats (1 et 200 mg dans la nourriture), de faibles quantités de radioactivité ont été mesurées dans les fèces (substance non absorbée, éliminée inchangée). La présence de radioactivité dans les urines traduit une métabolisation quasi complète de l’heptadécane et son élimination sous forme de métabolites urinaires solubles [15].
Suite à l’ingestion de pristane (alcane en C19), environ 14 % de la quantité absorbée sont excrétés dans les urines sous forme de métabolites solubles, la majorité du composé étant non absorbée et éliminée via les fèces (66%).
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Mode d'actions
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Toxicité expérimentale
Toxicité aiguë
Les solvants aliphatiques en C9-C20 désaromatisés sont globalement très peu toxiques en exposition aiguë. Ils sont légèrement irritants pour la peau et les yeux et aucune sensibilisation cutanée n’est mise en évidence. Par contre, après ingestion, une aspiration dans les poumons est possible, à l’origine de lésions pulmonaires sévères.
Pour les mélanges de solvants aliphatiques en C9-C20 désaromatisés, les CL50 sont supérieures à 5000 mg/m3 (rat, 4 h), les DL50, par voie orale, supérieures à 5000 mg/kg pc (rat) et les DL50, par voie cutanée, supérieures à 2000 mg/kg pc (lapin, 24 heures, occlusif). Aucun effet n’est rapporté lors de ces études [4].
Seuls les solvants aliphatiques en C9 et C10 sont à l’origine d’effets narcotiques aux concentrations maximales testables, effets non observés pour les solvants possédant plus de 10 atomes de carbone [15, 16].
Par voie orale, les composés ayant une viscosité inférieure à 20,5 mm²/sec peuvent être aspirés dans les poumons occasionnant une pneumonie chimique [16]. Le risque d'aspiration est inversement proportionnel à la viscosité du composant : un composé de faible viscosité migrera vers la partie la plus profonde de l'arbre trachéo-bronchique.
Irritation, sensibilisation [16]
Les solvants aliphatiques en C9-C14 induisent une légère irritation oculaire et cutanée chez le lapin.
Des tests d’irritation cutanée ont été réalisés chez le lapin, avec des solvants aliphatiques de C14 à C20 désaromatisés (< 2 % d’aromatiques). En conditions semi-occlusives, l’irritation est minime voire nulle (score érythème entre 0 et 1,11 ; score œdème entre 0 et 0,1 ; score maximum possible 4) ; en conditions occlusives pendant 24 heures, une légère irritation apparaît.
Les solvants aliphatiques en C9-C20 désaromatisés ne sont pas sensibilisants pour la peau.
Toxicité subchronique, chronique [16]
La toxicité chronique de ces mélanges est très faible.
Des rats et des singes ont été exposés par inhalation à des solvants aliphatiques en C10-C12 désaromatisés (< 2 % aromatiques, 0-2600-5200-10400 mg/m3, 6 h/j, 5 j/sem, 13 sem, rats) ou des solvants en C10-C13 désaromatisés (< 2 % aromatiques, 28 jours, jusqu’à 600 ppm, singes). Exceptée une néphropathie à α2-microglobuline uniquement chez le rat mâle, non extrapolable à l’homme, et une augmentation du poids du foie, considérée comme une réponse adaptative, aucun effet toxique n’a été observé aux concentrations les plus fortes.
Par voie orale, les mêmes effets hépatiques et rénaux sont observés à la plus forte dose testée (rat, gavage, 5000 mg/kg pc/j pendant 90 jours).
Aucune étude n’est disponible pour les solvants en C14-C20.
Effets génotoxiques [4]
Les tests réalisés in vitro et in vivo avec des mélanges de solvants aliphatiques se sont révélés négatifs.
In vitro
Des résultats négatifs ont été rapportés pour différents mélanges de solvants aliphatiques testés, avec et sans activation métabolique :
- test d’Ames (C9-C14 et C14-C18 avec < 2 % aromatiques, isohexadécane) ;
- mutation génique sur cellules de mammifères (C9-C14 avec < 2 % aromatiques) ;
- aberration chromosomique (C9-C14 et C12-C16 avec < 2 % aromatiques ) ;
- échange de chromatides sœurs (C9-C14 avec < 2 % aromatiques).
In vivo
Des essais de mutation létale dominante ont été réalisés chez le rat par inhalation (jusqu’à 900 ppm, solvants en C9-C11 et C10-C12 avec < 2 % aromatiques) et ils ne mettent en évidence aucun effet sur les cellules germinales. Les tests menés avec des solvants en C10-C13 désaromatisés s’avèrent aussi négatifs (micronoyau chez la souris par inhalation et gavage).
Aucun test n’a été réalisé avec des solvants en C14-C20 [16].
Effets cancérogènes
Aucune donnée relative aux effets cancérogènes des solvants aliphatiques C9 à C20 désaromatisés n’est disponible chez l’animal à la date de publication de cette fiche toxicologique.
Effets sur la reproduction [16]
Les quelques études publiées ne mettent en évidence aucun effet sur la reproduction ou le développement.
Fertilité
Des rats mâles et femelles ont été exposés pendant 46 jours à 0-100-300 ou 1000 mg/kg pc/j à du undécane (alcane en C11), par gavage (mâles : 14 jours avant l’accouplement et pendant l’accouplement ; femelles ; 14 jours avant l’accouplement puis jusqu’au 3e jour d’allaitement) : aucun effet sur les paramètres de reproduction n’a été observé.
Développement
Des rates gestantes ont été exposées à un mélange de solvants aliphatiques en C9-C11 avec < 2 % d’aromatiques (0, 300 et 900 ppm, 6 h/j, du 6e au 15e jour de gestation). Aucune toxicité maternelle ou fœtale n’est rapportée. Il en est de même dans une autre étude réalisée sur un mélange de solvants aliphatiques en C10-C12 avec < 2 % d’aromatiques (rates gestantes, 0-300-900 ppm, 6 h/j, du 6e au 15e jour de gestation).
Par voie orale, aucun effet toxique maternel ou fœtal n’est mis en évidence à la plus forte dose testée (1000 mg/kg pc/j), dans une étude de toxicité prénatale chez le rat, réalisée sur des solvants en C16-C20 (< 2 % aromatiques).
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Toxicité sur l’Homme
Les hydrocarbures aliphatiques en C9-C20 désaromatisés sont des mélanges dont il est difficile de déterminer des effets spécifiques sur la santé. Ils présentent des effets communs à la plupart des hydrocarbures pétroliers. Lors d’expositions aiguës, ils sont irritants pour la peau et les muqueuses et dépresseurs du système nerveux central ; en cas d’ingestion, une pneumopathie d’inhalation peut également survenir. L’exposition prolongée à de fortes concentrations d’hydrocarbures peut être responsable de troubles mentaux organiques. Un excès de risque de glomérulonéphrite et de sclérodermie est observé chez des travailleurs exposés à divers types de solvants organiques. Il n’y a pas de donnée disponible permettant d’évaluer spécifiquement la génotoxicité, la cancérogénicité et les effets sur la reproduction des hydrocarbures aliphatiques en C9-C20 désaromatisés chez l’Homme. Un excès de risque d’avortement spontané, d’accouchement prématuré et de petits poids de naissance est associé à l’exposition à des solvants pendant la grossesse.
Toxicité aiguë [17-19]
L’inhalation de vapeurs ou d’aérosols d’hydrocarbures pétroliers peut entraîner une irritation des muqueuses respiratoires et une dépression du système nerveux central : sensation d’ébriété, céphalées, nausées, confusion, allongement des temps de réaction, troubles de la coordination, altération de la vigilance pouvant aller jusqu’au coma en cas de forte exposition. Ces effets neurotoxiques surviennent rapidement après le début de l’exposition et régressent généralement en quelques heures à l’arrêt de celle-ci.
En cas de projection cutanée ou oculaire, une irritation locale et une conjonctivite de sévérité variable selon la durée de contact peuvent être observées, des signes d’intoxication systémique peuvent survenir à la suite d’une contamination cutanée étendue et prolongée.
L’ingestion est suivie de troubles digestifs (sensation de brûlure pharyngée, rétrosternale, épigastrique, nausées, vomissements, puis diarrhée) et une dépression du système nerveux central (syndrome ébrio-narcotique voire coma en cas de prise massive). Le principal risque, même pour de faibles quantités ingérées, est la survenue d’une pneumopathie d’inhalation. Même si la toux ou la dyspnée qui suivent l’ingestion régressent souvent rapidement dans un premier temps, une radiographie thoracique doit être systématiquement réalisée. Les images radiologiques apparaissent de moins d’une heure à 8 heures après l’ingestion. Il s’agit d’opacités floconneuses mal limitées, touchant le plus souvent les lobes moyen et inférieur droits mais une atteinte diffuse des deux champs pulmonaires est possible en cas de prise massive. L’atteinte pulmonaire s’accompagne de fièvre, hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile et hypocholestérolémie. Lorsqu’elle est limitée, l’évolution est généralement favorable en 48 à 72 heures, les images radiologiques disparaissant en 1 à 2 semaines. La complication la plus fréquente est la surinfection bactérienne avec une atteinte parenchymateuse, une pleurésie ou un pyopneumothorax.
L’injection sous-cutanée ou intramusculaire d’hydrocarbures entraîne une réaction inflammatoire et une nécrose tissulaire locales, parfois associées à des compressions vasculaires, nerveuses et tendineuses, particulièrement sévères en cas d’injection sous pression.
Toxicité chronique [17-19]
Effets cutanés
L’exposition répétée aux hydrocarbures peut être responsable de dermatites d’irritation de contact (sécheresse de la peau, hyperkératose, crevasses, principalement au niveau des mains).
Effets neurologiques
L’exposition prolongée (généralement supérieure à 10 ans) par voie respiratoire à des concentrations élevées d’hydrocarbures entraîne des troubles mentaux organiques. Le tableau clinique initial associe des symptômes subjectifs non spécifiques (fatigabilité accrue, difficultés mnésiques et de concentration, irritabilité, tendance dépressive, troubles du sommeil) réversibles à l’arrêt de l’exposition. Ces troubles s’aggravent en cas de poursuite de l’exposition : installation de troubles permanents de l’humeur et de la personnalité et une détérioration intellectuelle avec altération des performances aux tests psychométriques. Des troubles de la vision des couleurs, généralement discrets, peuvent être associés [20]. A un stade tardif, des signes neurologiques déficitaires (syndrome cérébelleux) sont également rapportés.
D’autres effets neurologiques ont été attribués à l’exposition aux solvants (survenue de crises d’épilepsie, apnées du sommeil, sclérose en plaque) mais les données disponibles ne permettent pas de conclure à un lien causal.
Effets rénaux
Une association entre l’exposition professionnelle aux hydrocarbures et excès de risque de glomérulonéphrite est observé dans plusieurs études cas-témoins. Certaines données sont en faveur d’une association entre exposition aux solvants organiques et progression de l’atteinte glomérulaire vers une insuffisance rénale chronique terminale [21, 22]. Un rôle initiateur dans l’atteinte rénale est toutefois également possible puisque plusieurs études transversales montrent, chez les travailleurs exposés à divers types de solvants organiques comparés à des sujets non professionnellement exposés, une augmentation du niveau d’albuminurie et de protéinurie de bas poids moléculaire, marqueurs respectivement d’atteintes glomérulaire et tubulaire.
Autres effets
Plusieurs études cas-témoins retrouvent un excès de risque de sclérodermie chez des sujets professionnellement exposés aux solvants avec un odds ratio total de 2 environ dans les méta-analyses les plus récentes [23 à 25]. L’exposition est généralement mal caractérisée, tant de manière quantitative que qualitative, il est donc difficile d’identifier le rôle d’un ou plusieurs solvants en particulier. Un mécanisme pathogénique dysimmunitaire a été suggéré.
Le rôle de l’exposition aux solvants organiques a été évoqué à l’origine de stéatose hépatique mais la plupart des études épidémiologiques ne montrent pas de modification des enzymes hépatiques chez des travailleurs exposés aux solvants, après prise en compte des facteurs de confusion extra-professionnels (consommation d’alcool, surpoids, syndrome métabolique, diabète non insulinodépendant, hépatites virales, prise médicamenteuse).
Effets génotoxiques
Il n’y a pas de données disponibles permettant d’évaluer spécifiquement la génotoxicité des hydrocarbures aliphatiques en C9-C20 désaromatisés chez l’Homme.
Effets cancérogènes
Il n’y a pas de données disponibles permettant d’évaluer spécifiquement la cancérogénicité des hydrocarbures aliphatiques en C9-C20 désaromatisés chez l’Homme.
Certains solvants pétroliers ont été classés dans le groupe 3 (agents inclassables quant à leur cancérogénicité) par le CIRC en 1989 [26].
Dans l’étude cas-témoins française ICARE (2276 cas et 2780 témoins entre 2001 et 2007), aucune association significative n’est observée entre une exposition aux solvants organiques examinés et le cancer broncho-pulmonaire [27].
Effets sur la reproduction [17]
Il n’y a pas de données disponibles permettant d’évaluer spécifiquement les éventuels effets sur la reproduction des hydrocarbures aliphatiques en C9-C20 désaromatisés chez l’Homme.
Des associations sont rapportées par certains auteurs entre exposition masculine ou féminine aux solvants dans leur ensemble et allongement du délai nécessaire à concevoir et entre exposition masculine et anomalies du sperme [28].
Plusieurs études épidémiologiques mettent en évidence un excès de risque d’avortement spontané, d’accouchement prématuré et de petits poids de naissance associé à une exposition à des solvants pendant la grossesse. Ces effets sont considérés comme des effets à seuil.
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Interférences métaboliques
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Cohérence des réponses biologiques chez l'homme et l'animal